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Le point sur le marché de l’hiver 2024 – Financement immobilier commercial : Des briques, des clics et du changement
Le point sur le marché de l’hiver 2024 – Financement immobilier commercial : Des briques, des clics et du changement
Jim Eplett
L’immobilier commercial était traditionnellement un secteur tranquille, voire ennuyeux. Les changements y étaient lents, presque imperceptibles. Le secteur évoluait par cycles longs, résultats de forces locales largement prévisibles que l’on voyait arriver de loin. Le marché avait donc largement le temps de s’adapter aux changements de comportements, qui étaient alors extrêmement lents.
Le secteur de l’immobilier commercial d’aujourd’hui est de plus en plus touché par les événements et les changements structurels par rapport à la simple cyclicité qu’il a connue dans le passé. Aujourd’hui, pour réussir dans le domaine, il faut être capable de se retourner rapidement. Les initiatives environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) prennent rapidement d’assaut le secteur immobilier, et les risques climatiques, les impacts environnementaux et le bien-être social doivent être pris en compte au même titre que les considérations économiques, ce qui ajoute encore à la complexité des décisions immobilières. La technologie, en particulier, a augmenté le rythme et la fréquence des changements et les nouveaux comportements, l’actualité géopolitique et les avancées technologiques président à l’évolution du secteur. Le comportement humain n’a jamais changé aussi rapidement et le secteur de l’immobilier n’a d’autre choix que d’accélérer le rythme, lui aussi.
Dans cet article, nous ferons le point sur certains des changements vécus par le secteur en 2024 et sur les opportunités qui pourraient en découler. Nous verrons également que la gestion du changement est une compétence qui devient incontournable pour les professionnels de l’immobilier commercial compte tenu de la volatilité croissante du secteur.
Rôle des capitaux
La pandémie de COVID-19 a entraîné des changements économiques d’une ampleur sans précédent. Les décisions de politique monétaire prises dans les premiers temps pour tenter de soutenir les économies ont donné lieu à des taux d’intérêt extrêmement bas et à un surcroît de liquidités. Face à l’inflation qui s’en est suivie, les autorités ont toutefois dû faire brutalement machine arrière, procéder à des hausses de taux d’intérêt rapides et réduire la masse de capitaux disponibles pour tenter de soutenir le système bancaire mondial.
Compte tenu du peu de propriétés commerciales qui s’échangent ces temps-ci sur le marché, il est difficile d’évaluer l’impact qu’aura réellement la hausse actuelle des taux d’intérêt sur les taux d’actualisation. Ceux-ci évoluent habituellement dans le sillage des taux obligataires canadiens, ce qui permet aux investisseurs d’obtenir un rendement corrigé du risque adéquat par rapport aux placements sans risque. Puisqu’ils se situeraient actuellement à environ 242 pb au-dessus des obligations (contre une moyenne historique d’environ 345 pb1), on peut en conclure que les investisseurs s’attendent à ce que les taux d’intérêt diminuent une fois que la Banque du Canada aura, tel que prévu, ramené l’inflation à sa cible de 2 % au cours des 12 à 24 prochains mois. Cette amélioration prévue des conditions d’emprunt explique pourquoi les investissements dans l’immobilier commercial ont diminué en 2023 (-23 % par rapport à 2022 au Canada et -44 % à l’échelle mondiale selon les estimations actuelles de CBRE).2
La disponibilité des capitaux change elle aussi. Les exigences de fonds propres toujours plus strictes auxquelles sont soumises les banques pour pouvoir concéder des prêts immobiliers commerciaux (voir Le point sur le marché immobilier commercial du printemps 2023) commencent à se faire sentir. 3 Il y a en conséquence actuellement moins de capitaux disponibles pour les emprunts immobiliers commerciaux que par le passé. Les banques canadiennes déploient des trésors d’innovation pour gérer leurs capitaux autrement : on a par exemple vu émerger des solutions de transfert des risques comme la titrisation synthétique de prêts, que BMO a été la première banque canadienne à lancer en 2021.
Les taux des prêts immobiliers commerciaux seront également à surveiller. Les banques calibrent la tarification des prêts afin d’assurer un rendement acceptable du capital que leurs organismes de réglementation exigent d’elles pour chaque prêt individuel. Avec le resserrement des exigences de fonds propres, les banques doivent demander plus pour garder le même rendement du capital; il faut donc s’attendre à des écarts de taux plus élevés. Au Canada, où le marché du crédit est particulièrement concurrentiel, les écarts de taux sur les prêts immobiliers commerciaux n’ont pas encore beaucoup augmenté, mais la tendance devrait s’amorcer en 2024. De nouveaux types de prêteurs affichant des modèles d’affaires plus transactionnels, comme des fonds hypothécaires et des prêteurs de titres adossés à des créances hypothécaires commerciales (TACHC), devraient par ailleurs faire leur entrée sur le marché en réponse à ce manque de capitaux et offrir des produits de prêt plus chers, ce qui permettra aux banques de consacrer leurs capitaux, désormais moins abondants, à des prêts inscrits au bilan davantage axés sur les relations avec les clients et financés par des dépôts.
Immeubles de bureaux
L’immobilier de bureau reste la catégorie d’actif qui inquiète le plus et qui retient le plus l’attention à court terme. La tendance au télétravail a sans doute été une évolution inévitable du marché des immeubles de bureaux qui a commencé lorsque les premiers téléphones mobiles et ordinateurs portatifs ont vu le jour dans les années 1980. Les fermetures provoquées par la pandémie avaient obligé le monde à se tourner rapidement vers le télétravail; la tendance, qui aurait autrement pu prendre des décennies à se mettre en place, s’est installée en à peine 24 mois et le marché n’y était pas préparé.
Le monde du travail risquant de devoir continuer à composer avec au moins une certaine dose de télétravail, l’immobilier de bureau se retrouve confronté à une conjonction d’obstacles inattendue. Les taux d’inoccupation ont grimpé en flèche, les nouvelles constructions sont pour ainsi dire sur pause et l’intérêt des investisseurs pour les espaces de bureau s’est pratiquement évanoui.
La situation est toutefois plus encourageante au Canada qu’aux États-Unis, puisqu’une grande partie des immeubles de catégorie A du pays appartiennent à de riches institutions financières bénéficiant d’un horizon de placement à long terme et de la patience nécessaire pour faire face aux cycles, augmenter progressivement les loyers, et réaménager ou convertir leurs immeubles à bureaux. Le marché américain est dominé par des investisseurs en capital-investissement plus opportunistes à l’horizon de placement plus court et davantage enclins à arrêter les frais et à vendre leurs actifs à perte en cas de problème, tandis qu’au Canada, les acteurs institutionnels sont plus patients, ce qui confère plus de stabilité au marché en période de repli et de surabondance de l’offre.
Même si l’offre dans l’immobilier de bureau canadien est maintenant clairement supérieure aux besoins, le problème ne tient pas tant à la surconstruction qu’à l’insuffisance des démolitions. La reconversion d’immeubles vétustes et leur utilisation à des fins plus viables seront une des tendances fortes que l’on devrait voir émerger au cours des prochaines années et elle sera pour les promoteurs créatifs l’occasion de profiter au mieux de tous ces changements. Cette conversion, conjuguée à la pause des nouvelles constructions et à l’absorption positive générée par la croissance économique à long terme, devrait contribuer à rétablir progressivement l’équilibre et la confiance sur le marché des immeubles de bureaux, et on peut espérer un retour à la « normale » d’au moins cinq ans.
Immeubles industriels
Le marché industriel a lui aussi connu un bouleversement. L’immobilier industriel a longtemps été associé à des images d’entrepôts anonymes, de cheminées, de voies ferroviaires et de piles de matériaux laissées à l’abandon; c’était une des catégories d’actif les moins populaires du marché. Son attrait résidait dans la longueur de ses baux et dans sa faible complexité. Mais, avec des loyers de 3 $ à 6 $ le pied carré, sans réel espoir d’augmentation, l’immobilier industriel ne faisait pas courir les foules.
Jusqu’à la pandémie.
La COVID-19 s’est traduite par une accélération rapide du commerce électronique, les consommateurs, confinés à la maison, s’étant retrouvés forcés de se tourner vers le magasinage en ligne. Tout a alors changé pour le secteur industriel. Les stocks des commerces de détail ont quitté les arrière-boutiques pour des centres de distribution, ce qui a entraîné un accroissement de la demande d’espace industriel. L’industrie de la logistique a explosé, le taux d’inoccupation du secteur industriel a chuté et la moyenne nationale des loyers demandés atteint désormais des records de plus de 16 $ par pied carré (25 $ par pied carré pour les immeubles de première catégorie). 7, 8
Heureusement pour les investisseurs canadiens, les marchés immobiliers commerciaux des États-Unis ont généralement trois à cinq ans d’avance sur ceux du Canada, ce qui leur donne une bonne idée de ce qui les attend. Les investisseurs en immobilier commercial canadiens pourraient avoir intérêt à miser dès maintenant sur les tendances que l’on voit émerger aux États-Unis, comme l’entreposage extérieur industriel et les immeubles industriels multiniveaux. À long terme, les plus avisés voudront probablement garder un œil sur le secteur des camions sans conducteur, qui pourrait changer la donne et réduire la nécessité de disposer d’installations industrielles proches des consommateurs et de chauffeurs de camion.
Commerce de détail
Au début de la pandémie, le commerce de détail était l’objet de toutes les craintes, en raison de l’effet des mesures de confinement et de la distanciation sociale. Aujourd’hui, il a de nouveau le vent en poupe. Les commerces de première nécessité (épiceries, pharmacies, services, soit, en gros, tout ce dont vous pouvez avoir besoin rapidement ou que vous ne pouvez pas acheter en ligne) sont actuellement une des trois catégories d’actif préférées des investisseurs et valent plus aujourd’hui qu’avant la pandémie.
Le changement est clairement la clé du succès dans le commerce de détail. Les comportements des consommateurs changent sans arrêt et, dans ces conditions, le changement est pour les commerces de détail une question de survie.
Le commerce électronique amplifie et accélère ce changement, et participe donc à l’accroissement de la volatilité dans l’immobilier commercial. L’heure est maintenant au modèle « briques et clics » et les commerces de détail n’ont d’autre choix que de multiplier les canaux de distribution s’ils veulent survivre. Dans ce nouveau contexte, il faut savoir s’adapter, et même prendre des risques : être capable de profiter des nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle pour gérer les stocks, suivre les dernières tendances en matière de consommation (magasins éphémères, par exemple) et créer de la rareté, en annonçant des produits en « quantités limitées » et « en rupture de stock » pour susciter un sentiment d’urgence chez les clients.
Les immeubles de commerce de détail doivent de la même façon se réinventer constamment pour rester en phase avec les besoins de ces locataires d’un genre nouveau et, par exemple:
Les finances des ménages varient elles aussi constamment. Les Canadiens sont très endettés et, en cas de récession, cela pourrait nuire aux ventes au détail et ajouter encore à la volatilité du secteur. Les détaillants doivent donc adapter leur offre de produits en permanence pour ne pas se retrouver avec des invendus. Quant aux propriétaires d’immeubles de commerce de détail, il leur faut gérer soigneusement leur éventail de locataires afin d’être en mesure d’attirer les clients.
Immeubles multirésidentiels
La catégorie d’actif des immeubles d’habitation n’avait pas connu beaucoup de changements au fil des ans, elle non plus. Très peu de nouveaux logements étaient sortis de terre depuis les années 1970, les taux d’inoccupation étaient faibles, les loyers relativement stables et on pouvait compter sur le financement de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL).
Toutefois, avec l’augmentation de la demande de logements, alimentée par la croissance de la population et le relèvement des cibles d’immigration, le coût de l’accès à la propriété atteint un point de rupture. Faute de solutions de logement abordable capables de répondre à la croissance record du taux de formation des ménages, les Canadiens qui n’ont pas les moyens d’acheter n’ont d’autre choix que de se tourner vers le marché de la location, si bien que les loyers atteignent des sommets et que la question du logement abordable est désormais une priorité nationale.
La tranquillité et la simplicité qui caractérisaient autrefois le marché de l’immobilier multirésidentiel sont maintenant chose du passé. Bien sûr, le financement à faible coût de la SCHL reste un socle solide pour le secteur, ce qui en fait actuellement la seule catégorie d’actif où il reste possible de profiter d’un effet de levier positif et qui continue d’attirer les investisseurs par ses qualités défensives. Néanmoins, les propriétaires d’immeubles multirésidentiels d’aujourd’hui doivent composer avec un contexte plus mouvant que jamais et tenir compte de tout un éventail de variables toujours plus complexes.
Voici quelques-unes des tendances avec lesquelles les propriétaires doivent composer ces temps-ci:
Un secteur complexe, donc!
Conclusion
Le secteur de l’immobilier commercial canadien a bien des raisons d’être optimiste. La stabilité du gouvernement, la forte croissance de la population, la rigueur des prêts, la durabilité de la construction, la fiabilité des renseignements sur le marché, la transparence du cadre juridique et la solidité du secteur bancaire en font un des secteurs de l’immobilier commercial les plus attrayants du monde. Le secteur des bureaux reste préoccupant, mais l’immobilier industriel, le secteur multirésidentiel, et même celui du commerce de détail sont remarquablement bien orientés. Trois sur quatre, pas de quoi se plaindre!
es gens d’affaires prospères savent pertinemment que le changement est important:
« Changez, de préférence avant qu’on vous y oblige » – Jack Welch 10
« Le danger, c’est de ne pas évoluer » – Jeff Bezos 11
Compte tenu de la cadence croissante des changements dans le secteur de l’immobilier commercial d’aujourd’hui, c’est peut-être la personne la plus riche du monde qui le dit le mieux:
« Vous devez accepter le changement si la solution de rechange est le désastre » – Elon Musk 12
Footnotes
1 Canada – Évolution des taux d’actualisation et de l’investissement – T3 2023 | CBRE Canada↩
2 Les prêteurs prévoient prêter plus d’argent pour les transactions immobilières en 2024 | CBRE Canada↩
3 Immobilier commercial – Printemps 2023 – Le point sur le marché | BMO↩
4 Rapport des prêteurs immobiliers canadiens 2023 | CBRE Canada↩
5 Statistiques sur l’immobilier de bureaux au Canada T3 2023 | CBRE Canada↩
6 Soft Office Market Fundamentals Persist | CBRE↩
7 Statistiques sur l’immobilier industriel au Canada T3 2023 | CBRE Canada↩
8 Estimations BMO↩
9 Recherche interne BMO↩
10 Winning by Jack Welch↩
11 Fast Company↩
12 The Daily Beast↩
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