Les investisseurs canadiens doivent encourager de façon proactive les politiques et les pratiques du secteur qui permettent d’approfondir la compréhension historique, le respect des droits des Autochtones et d’assurer une répartition équitable des gains économiques. Les risques de ne pas le faire : violations des droits de la personne, litiges liés à des projets, retards et annulations.
Les changements climatiques provoqués par l’être humain menacent l’habitabilité de notre planète. Pour respecter l’engagement juridique1 du Canada de limiter le réchauffement de la planète à moins de 1,5 degré Celsius par rapport aux niveaux antérieurs à l’ère industrielle, nous devons réduire les émissions de carbone de 45 % d’ici 20302 et atteindre la carboneutralité d’ici 20503.
- Comment la capacité du Canada à mener à bien la transition énergétique dépend des mesures de réconciliation
- Comment les récentes décisions des tribunaux montrent pourquoi les gouvernements et l’industrie doivent être proactifs en matière de respect des droits des Autochtones
- Ce que les investisseurs institutionnels peuvent faire pour gérer le risque et accélérer les progrès vers la réconciliation et les objectifs de carboneutralité
Transition énergétique et réconciliation
Les minéraux critiques sont les composantes de base de la transition énergétique. Ils sont définis comme étant essentiels à l’économie et à la sécurité nationale, mais, dans bien des cas, leur approvisionnement est instable ou discutable.
À mesure que les tensions géopolitiques augmentent, les pays du monde entier sont engagés dans une course pour obtenir un accès fiable au moyen d’un rapatriement de la production sur le territoire national et d’une relocalisation dans des pays alliés. Étant donné l’abondance des ressources, le Canada a l’occasion d’être un fournisseur de minéraux critiques6 provenant de sources responsables grâce à une croissance massive des travaux d’exploration, de l’extraction et du traitement des minéraux. Parallèlement, le Canada s’est engagé à respecter la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones7. Par conséquent, cette croissance ne sera possible qu’en collaborant davantage et en respectant les droits inhérents aux Autochtones et issus de traités, étant donné que les minéraux critiques sont situés sur leurs territoires traditionnels ou à proximité.
L’accès à des minéraux carboneutres repose sur la réconciliation
- Les éoliennes nécessitent des aimants en manganèse, en platine et en terres rares.
- Les panneaux solaires utilisent de l’indium et du tellure.
- Les pièces des batteries des véhicules électriques sont constituées de lithium, de cobalt, de nickel et d’aimants.
- Les centrales nucléaires fonctionnent à l’uranium.
- Les câbles en cuivre sont le principal moyen de transmission de l’électricité là où elle est nécessaire.
De récentes décisions des tribunaux montrent la nécessité de la proactivité
Bien que l’exploitation minière soit une industrie de plusieurs milliards de dollars au Canada8 et que les Autochtones détiennent des droits et des titres sur certaines des terres les plus riches en minéraux du pays, historiquement, ils n’ont jamais bénéficié de retombées économiques équitables et sont davantage exposés aux effets sociaux et environnementaux néfastes des activités minières. De récentes décisions des tribunaux fédéraux et provinciaux montrent que des politiques gouvernementales et sectorielles plus proactives sont nécessaires pour réduire le risque et accélérer le développement de chaînes d’approvisionnement en minéraux critiques. Bien que les défendeurs dans les affaires présentées ci-dessous soient tous des gouvernements, le secteur a également un impact sur ces litiges et en subit les conséquences.
Affaires relatives aux traités Robinson-Huron et Robinson-Supérieur
En 1850, des représentants de la Couronne ont signé les traités Robinson-Huron et Robinson-Supérieur avec les chefs anichinabés le long des rives nord du lac Huron et du lac Supérieur, ce qui a établi des contrats juridiques de nation à nation pour le partage des ressources.
L’une des clauses originales de ces traités prévoyait que la Couronne s’engageait à verser des paiements annuels (annuités) aux Premières Nations respectives en fonction de la richesse générée par l’extraction des ressources. En 1874, les annuités sont passées de 1,50 $ à 4 $ par personne, la première et la seule augmentation à avoir eu lieu, bien que la région ait généré des profits de centaines de milliards de dollars dans les décennies qui ont suivi, principalement dans les secteurs des mines, de la foresterie et de la pêche9. Après de longs litiges, le tribunal a récemment statué que la Couronne avait l’obligation d’augmenter les paiements d’annuités, conformément à l’accord initial du traité. En juin 2023, les gouvernements fédéraux et provinciaux ainsi que les nations visées par le traité Robinson-Huron sont parvenus à un règlement de 10 milliards de dollars en paiements rétroactifs10. Le montant des annuités futures n’a pas encore été déterminé et, malgré l’accord de règlement, l’Ontario continue de faire appel. Une autre audience est prévue devant la Cour suprême du Canada à la fin de 202311.
Décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique relative à la Loi sur les tenures minières
Le 26 septembre 2023, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a rendu une décision en faveur des Premières Nations Gitxaala et Ehattesaht contre le gouvernement de la Colombie-Britannique en raison du manque de consultation sur les concessions minières jalonnées sur leurs territoires. Le « système d’entrée libre » de la province permet aux explorateurs de jalonner un claim sur les terres autochtones sans aucune consultation préalable. Le tribunal a décidé que la mise en œuvre de la Loi sur les tenures minières de la Colombie-Britannique, qui réglemente cette pratique, doit être mise à jour, car elle place la province en violation de son obligation de consulter véritablement les peuples autochtones sur tout projet qui pourrait avoir une incidence sur leurs droits. La décision du tribunal ne va pas jusqu’à dire que le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause (CPLCC, un principe clé énoncé dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones) doit être obtenu avant qu’un claim puisse être jalonné. La décision a accordé à la province 18 mois pour travailler avec les groupes autochtones afin de moderniser la Loi. Cette évolution pourrait influer sur les régimes de jalonnement des claims en Ontario, en Alberta, en Saskatchewan, au Manitoba, au Yukon et au Nouveau-Brunswick, où il n’existe actuellement aucune politique visant à restreindre les claims sans consulter au préalable le propriétaire foncier. Plusieurs Premières Nations du Nord de l’Ontario ont également récemment exprimé des préoccupations quant à la violation de leurs droits protégés par la Constitution dans ce contexte et exigent que le principe du CPLCC soit respecté12.
Décision relative à la Première Nation de Blueberry River sur les effets cumulatifs
Une décision de 2021 remportée par la Première Nation de Blueberry River (PNBR) contre le gouvernement de la Colombie-Britannique est une autre décision récente et importante pertinente en ce qui concerne le secteur des métaux et des mines13. Après des années de négociations infructueuses qui ont abouti à des litiges, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a ordonné à la province de payer les frais juridiques de la nation, statuant que celle-ci avait encouragé et autorisé trop de permis d’activités industrielles liées à l’exploitation minière, à la foresterie, au pétrole et au gaz, à l’agriculture et au développement hydroélectrique dans le territoire du Traité 8. L’effet cumulatif de ces activités industrielles distinctes a été déterminé par le tribunal comme ayant violé les droits issus de traités de la Première Nation et plusieurs permis d’exploitation ont été suspendus. La Cour a accordé du temps à la province et à la PNBR pour élaborer conjointement un régime de réglementation pour permettre l’activité industrielle dans le territoire et, en janvier 2023, une entente a été conclue : le gouvernement et l’industrie se sont engagés à travailler avec la PNBR pour assainir et protéger la faune, les forêts anciennes et l’eau. Un fonds de restauration de 200 millions de dollars a été établi et des limites ont été imposées aux nouveaux projets d’exploitation pétrolière et gazière. Une somme supplémentaire de 87,5 millions $ a été attribuée à la PNBR en tant que part des revenus du pétrole et du gaz hérités du passé.
Ce que les investisseurs peuvent faire
Combler l’écart en matière d’éducation
Les participants à la table ronde de la First Nations Major Projects Coalition de 2023 sur le développement de la chaîne d’approvisionnement des minéraux critiques au Canada ont constaté que le manque de connaissance de l’industrie sur les valeurs et les intérêts des Autochtones, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et le CPLCC sont des obstacles importants au développement de chaînes d’approvisionnement en minéraux essentiels14. L’éducation permet à l’industrie et aux gouvernements de prendre des décisions et d’adopter des comportements plus intuitifs qui favorisent l’établissement de relations plus respectueuses avec les Autochtones. La Commission de vérité et de réconciliation l’a souligné il y a plusieurs années dans son 92e appel à l’action15, dans lequel elle demandait aux entreprises de former leur direction et leur personnel sur l’histoire des Autochtones, les compétences interculturelles, la résolution des conflits, la lutte contre le racisme et les droits de la personne.
La compréhension de l’histoire des traités et des droits des Autochtones permettra de mieux appréhender les risques et d’évaluer les pratiques des sociétés émettrices et du secteur pour prendre des décisions en matière d’allocation d’actifs. Elle peut également favoriser une représentation plus efficace auprès des sociétés émettrices afin qu’elles adoptent des pratiques exemplaires en matière de respect des droits des Autochtones dans le cadre de leurs activités, y compris au moyen de mobilisations qui encouragent les entreprises à répondre au 92e appel à l’action.
- Indigenous Canada, un cours ouvert de 12 leçons de l’Université de l’Alberta portant sur les débuts de l’histoire du Canada avec les Autochtones, les revendications territoriales et les impacts environnementaux, les droits juridiques autochtones et les pratiques culturelles autochtones contemporaines partout au Canada.
- Nisitohtamowin ᓂᓯᑐᐦᑕᒧᐃᐧᐣ, une introduction à la compréhension des perspectives autochtones au Canada élaborée par l’Université des Premières Nations du Canada, Reconciliation Education et BMO Groupe financier
Intégration du CPLCC à l’étape des travaux d’exploration
La récente décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique sur la modernisation de la Loi sur les tenures minières de la Colombie-Britannique illustre la nécessité de collaborer avec les nations autochtones au moyen de véritables consultations avant de jalonner un claim minier. Même si la décision ne demandait pas l’établissement d’un CPLCC, il serait proactif et atténuerait les risques pour les explorateurs miniers. Si un gisement est découvert sur des terres traditionnelles ou à proximité et que l’on estime qu’il mérite d’être exploité, le CPLCC serait requis pour assurer la faisabilité du projet. L’établissement du CPLCC dès les premières étapes, avant même qu’une concession ait été jalonnée, pourrait contribuer à attirer des capitaux d’investisseurs indispensables à la réalisation de nouveaux projets d’exploration. Les investisseurs peuvent encourager l’adoption par le secteur d’une véritable consultation préalable au jalonnement, comme le demandent de nombreuses Premières Nations, en communiquant à l’industrie leurs attentes en matière de CPLCC et en demandant des informations plus détaillées sur l’engagement des Autochtones dès les premières étapes (p. ex., au moyen du National Reporting Instrument 43-10116, qui est un rapport technique que les petites sociétés minières doivent déposer avant d’émettre des actions pour un actif minier viable).
Ressources :
- Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (article 32)
- Faire progresser la réconciliation au Canada : Un guide pour les investisseurs
- Secteur des terres et des minéraux – Ententes minières avec les Autochtones, projets d’exploration et mines en exploitation, et types d’ententes négociées.
- La norme du Initiative for Responsible Mining Assurance pour un consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause
Suivi du succès des accords novateurs
En juin 2022, la nation Tahltan et la province de la Colombie-Britannique ont établi un précédent dans le secteur des métaux et des mines en concluant la première convention fondée sur le consentement pour une évaluation environnementale requise dans le cadre du processus d’approbation du projet minier d’or et d’argent d’Eskay Creek17. Un deuxième accord similaire a été conclu en 2023 entre la Première Nation de C.-B. Yaq it ʔa knuqⱡi it (YQT) et NWP Coal Canada Ltd. dans le cadre duquel YQT agira en tant que régulateur et examinateur du projet de charbon à coke de Crown Mountain.18 Ces ententes formalisent la coopération avec les Premières Nations à un stade très précoce, ce qui contribue à renforcer la faisabilité des projets en garantissant mieux la compréhension, la prévention et l’atténuation des effets négatifs potentiels de l’exploitation minière sur les communautés locales.
Préconiser un accès élargi au capital
En raison des restrictions imposées par la Loi sur les Indiens, les Premières Nations ne peuvent pas utiliser les terres de réserve comme garantie pour obtenir des prêts abordables, ce qui rend l’acquisition de participations dans des projets beaucoup moins réalisable sur le plan économique. Les programmes provinciaux de garantie de prêts pour les Autochtones en Ontario, en Alberta et en Saskatchewan contribuent à surmonter cet obstacle. Cependant, les chefs d’entreprise autochtones et non autochtones affirment qu’il n’y a toujours pas suffisamment de capitaux disponibles pour permettre aux Autochtones de participer aux projets miniers essentiels et aux infrastructures connexes, et ils réclament un programme fédéral de garantie de prêt pour combler cette lacune19.
Le Canada a une occasion historique d’être un chef de file mondial dans la transition vers l’énergie propre tout en faisant progresser les retombées socioéconomiques pour les Autochtones. Grâce à des partenariats plus proactifs avec les ayants droit autochtones, nous pouvons réduire les risques de litige, les retards et les annulations de projets alors que nous nous efforçons ensemble d’atteindre la carboneutralité. Les investisseurs peuvent appuyer tout ce qui précède en prenant des décisions relatives à la répartition de l’actif et en défendant les politiques des sociétés et des gouvernements qui reflètent la compréhension et le respect des droits des Autochtones et qui veillent à ce que les avantages économiques soient partagés équitablement.
Pour en savoir plus, veuillez communiquer avec votre partenaire, Ventes institutionnelles de BMO.
Footnotes
1 Gouvernement du Canada, Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité.↩
2 Gouvernement du Canada, « Plan de réduction des émissions pour 2030 : Un air pur, et une économie forte ».↩
3 Gouvernement du Canada, « La carboneutralité d’ici 2050 ».↩
4 Niall McGee, « While domestic companies flounder, foreign behemoths have built a dominant position in the Canadian critical minerals sector – and few have benefited more than Australia », The Globe and Mail, 13 octobre 2023.↩
5 EY Canada, « Top miners continue to make progress on a range of ESG, climate change and license to operate risks but are under pressure to do even more », 10 octobre 2023.↩
6 Gouvernement du Canada, Ressources naturelles Canada, « Le Canada et la France renforcent leur coopération dans le domaine des minéraux critiques », 28 septembre 2023.↩
7 Parlement du Canada, « Projet de loi C-15 (Sanction royale) », Lois du Canada 2021.↩
8 Gouvernement du Canada, « Les minéraux et l’économie ».↩
9 Aya Dufour, « Ontario is still appealing the Robinson treaties case to the Supreme Court, despite proposed settlement », CBC, 3 juillet 2023.↩
10 Gouvernement du Canada :Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, « Les dirigeants de Robinson Huron Treaty, l’Ontario et le Canada annoncent le projet de règlement et les prochaines étapes dans l’affaire judiciaire concernant les paiements d’annuités découlant de traités », 17 juin 2023.↩
11 Aya Dufour, « Ontario is still appealing the Robinson treaties case to the Supreme Court, despite proposed settlement », CBC, 3 juillet 2023.↩
12 Sarah Law, « First Nation calls mining stakes “unlawful, invalid” as it challenges Ontario’s free-entry system », CBC, 3 août 2023; Sarah Law, « First Nations leaders back at Queen’s Park to push Ontario Premier Ford to end mining activity on their land », CBC, 26 septembre 2023.↩
13 Andrew Kurjata, « After landmark court victory, Treaty 8 Nations lay out vision for energy development in northeastern B.C. », CBC, 8 juillet 2021.↩
14 First Nations Major Projects Coalition, « Summary of Participant Discussions and Findings : Critical Minerals », 2023.↩
15 Commission de vérité et réconciliation du Canada, « Appels à l’action », 2015.↩
16 Autorités canadiennes en valeurs mobilières, « Les autorités en valeurs mobilières du Canada lancent une consultation sur les normes de présentation de l’information concernant les projets miniers », 14 avril 2022.↩
17 Bureau du premier ministre de la Colombie-Britannique, « Tahltan Central Government, B.C. make history under Declaration Act », BC Government News, 6 juin 2022.↩
18 Globe Newswire, « Yaq̓it ʔa·knuqⱡi’it (Tobacco Plains Indian Band) and NWP Coal Canada Ltd Sign One-of-a-Kind Agreement for Crown Mountain Coking Coal Project », 16 janvier 2023.↩
19 Conseil canadien des affaires, « Meeting Canada’s clean energy targets must include Indigenous partnerships », 27 février 2023.↩
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